Chronique Le jour où je suis allée voir un guérisseur (partie 2)

Photo by Eric Cook on Unsplash

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Cet article est la suite de la Chronique Le jour où: je suis allée voir un guérisseur (partie 1)


Le monsieur à la canne à côté duquel je suis assise me demande si c’est ma première fois.

– Euh oui.  Et vous ?

 » Ah, non. Ça fait plusieurs fois que je le vois. J’ai eu un accident de travail », me dit il, en pointant sa jambe légèrement raide. « J’ai souffert pendant des années. On m’a dit que je ne pourrai plus marcher normalement. J’ai vu plein de spécialistes. Puis, j’ai rencontré le révérend. Il a fait un miracle. J’arrive maintenant à marcher presque normalement et je n’ai presque plus mal. »

La porte s’ouvre. Les battements de mon coeur s’accélèrent. Je lève le regard. Qui s’arrêtent vite en chemin. Je l’aurais cru plus grand. Plus imposant. Et je ne sais pas pourquoi, mais sans lunettes. Vite, je dois arrêter ma voix intérieure jugeante. Je me reprends. Je lui souris. Il me fait signe d’entrer dans son bureau. Je m’assois alors qu’il ferme la porte. La pièce est relativement petite. Mais j’observe à peine mon environnement, conservant un oeil sur le révérend.  Je suis trop nerveuse.  Et à la fois, exaltée.  Je rêve d’un moment comme celui-ci depuis des années. Rencontrer quelqu’un qui me guérira enfin.  Qui me libérera des maux qui m’accablent, de la souffrance qui gruge année après année mon énergie vitale.

Il me demande d’expliquer ma situation.  Je lui raconte tout.  Les yeux rivés sur les siens – à travers ses lunettes ! –  en espérant qu’il y verra ma sincérité, mon réel désir de guérir.  À la fin de mon récit,  sans rien dire, il approche sa chaise de la mienne. Il place une main dans mon dos et l’autre sur mon front.  Il formule une prière.  Demande à Dieu de nous indiquer la voie, le chemin.

– Ton mal est d’origine karmique. Il ne t’appartient pas. 

Je crois me rappeler qu’il formule alors une prière, la main toujours sur mon front.  Je prie avec lui.  Faites que mon mal disparaisse. Je pense alors que tout est terminé. Qu’il m’a, en quelque sorte, exorcisée. Je suis prête à me lever et à quitter. Il m’arrête dans mon élan et me demande de m’installer sur ce qui semble être une table de massage. « Tiens, installe-toi ici ».  Je n’avais même pas remarqué cette table, collée au mur. Je me couche sur le dos.  Alors, ça, je ne m’y attendais pas ai-je le souvenir de m’être dit. Il porte encore une fois sa main à mon front et me dit  » il est possible que tu ressentes une forte nausée ou le sentiment que tu vas t’évanouir. C’est normal. Dis-le moi si tu ne te sens pas bien. » Il remonte alors un peu mon chandail pour découvrir mon ventre.

Tout se passe à une vitesse folle. Mon souvenir de ce moment-là consiste en une succession d’images rapides et de sensations. Quelque chose de chaud s’approche de mon ventre et y trace, avec pression, une ligne d’un bord à l’autre. Impression que l’on farfouille dans mes entrailles, je sens mon intérieur bouger, la chaleur est toujours présente. J’ai la tête qui tourne. Une nausée me submerge. J’entends des bruits. Des sons qui ressemblent à ceux que l’on fait lorsqu’on lave des vêtements à la main. Liquide, succion, brassage, succion, liquide qui déborde, essorage.  Puis,  des bruits de tissus gorgés de liquide que l’on jette dans un récipient. Qui a vu la série Grey’s Anatomy sait exactement de quoi je parle. Je sens que je vais défaillir. Puis, le révérend me dit que c’est fini. « Ça va ? Tu te sens assez bien pour te lever ? ».

Je relève immédiatement la tête vers mon ventre. Il n’y a rien. Puis, je vois quelques tâches par-ci et par-là autour de mon nombril. Je les touche du bout des doigts. C’est rouge. Je les frotte, les essuie. Le rouge s’amenuise tout en laissant une petite trace, sèche, sur mon doigt. Je me relève, sonnée.

Il me tend la main pour m’aider à conserver mon équilibre. Me guide vers la porte. « Suis-je guérie ? » « Oui », me répond-t-il. 

Et me voilà de retour dans la salle d’attente. Le monsieur à la canne me frôle pour rentrer à son tour dans la salle de consultation. « C’est fou, hein ? », me dit l’épouse de ce dernier.  Elle qui, semble l’accompagner à toutes ses séances, me regarde avec un sourire en coin.

– Euh, oui, vraiment. 

Et alors que des dizaines et des dizaines de personnes attendent toujours dans la Chapelle, moi, je sors dans la lumière de ce début d’hiver. 

Survoltée. C’est ainsi que je me sens. Je passe les prochains jours en transe. Je n’ose pas vraiment parler de ce que je viens de vivre. Ça semble trop fou, trop gros. Car, si je me fie à mes sensations, je viens de subir une « opération » à mains nues. Je connaissais cette technique dont se réclament des guérisseurs philippins. Je n’ai, par contre, jamais pensé que j’allais un jour vivre une telle expérience. Je n’arrive pas à réconcilier mon rationnel avec ce que j’ai vécu ou ressenti. Malgré mon esprit critique qui refait progressivement surface, je tente de m’accrocher à l’idée que de nombreuses personnes témoignent de tels miracles, de telles interventions. Si c’est possible pour elles, pourquoi pas pour moi ? J’ai tellement besoin d’y croire.

Mais plus les jours passent, plus mon « mental » reprend le dessus. Je sais bien que tout cela est impossible. D’opérer à mains nues sans anesthésie, sans asepsie ?  Sans laisser aucune cicatrice ? C’est complètement dément de prétendre que c’est humainement possible. Je me rappelle d’ailleurs avoir vu un reportage, caméra cachée à l’appui, témoignant du charlatanisme et de l’illégalité de cette pratique. Je sais qu’il est possible de procéder à ce type de subterfuge. Je ne peux cependant m’expliquer les sensations vécues. Je tente de me remémorer chaque instant, chaque détail. Qu’est-ce que je n’ai pas vu, ni compris ?

Mais c’est finalement mon cycle menstruel qui me rappelle à l’ordre et met fin à tout espoir d’avoir été guérie par un miracle. La souffrance, psychique puis physique, reprend de plus belle, ne me laissant qu’un goût amer de cette expérience. Je me sens si naïve, si crédule d’avoir un instant cru en ce guérisseur. D’avoir été assez faible pour me laisser embobiner. Je me sens encore plus démoralisée, plus triste. Que me reste-t-il maintenant ?

Plusieurs semaines s’écoulent et cette expérience devient progressivement un souvenir vague. Comme une mauvaise plaisanterie dont j’aurais été victime. Je tente de l’oublier. De l’archiver dans les «  expériences de Sarah ». Je passe à autre chose.

Je vois quelques semaines plus tard ma massothérapeute qui, en plus d’avoir des mains de fée, possède une intuition remarquable. Sans du tout se prétendre médium, il lui arrive de partager les émotions qui lui viennent à l’esprit lorsqu’elle me manipule. Sans que je ne lui dise rien, elle me décrit toujours avec une précision étonnante mon état d’esprit du moment. 

Je suis étendue sur le dos, elle me masse les pieds, puis les jambes. Puis, ses mains s’arrêtent, au niveau de mon ventre. Elle me le palpe, le masse doucement.  « Tu ne m’avais pas dit que tu avais eu une opération à cet endroit? Je sens les restants d’une cicatrice à l’intérieur. Tu as été opérée pour une appendicite ou une hystérectomie ou quelque chose du genre, je ne le savais pas  ? 

– Euh, non. Je n’ai pas eu d’opération. Jamais.

Et elle de me répondre,  » ah c’est vraiment bizarre, j’aurais juré que tu avais une cicatrice à cet endroit « ,  me traçant du doigt un ligne à l’endroit même où, il y a quelques semaines, un certain révérend ouvrait mes entrailles pour me guérir.

Note de l’autrice :

Je vous laisse interpréter mon récit à votre guise ! Je suis certaine que plusieurs d’entre vous ont vécu des expériences similaires. Que vous croyez et adhérez au principe d’opération à mains nues et/ou de guérison miraculeuse. Je suis tout aussi certaine que certaines d’entre vous êtes en train de soupirer de désespoir à l’idée que l’on puisse croire en ces méthodes de guérison. Qui suis-je pour juger ?  

J’étudie et possède une grande curiosité pour tout type de guérison alternative et pour tout ce qui fait partie du domaine de l’invisible. Surtout en ce qui a trait à la métaphysique. Je suis également une personne très spirituelle. Mais je suis également dotée d’un grand sens critique et scientifique. Ceci fait en sorte que, bien qu’ouverte aux diverses méthodes de guérison, spirituelle ou autre, je suis d’avis que je n’ai pas été en présence d’un guérisseur. Ni d’un être possédant des capacités thérapeutiques extraordinaires. Je penche donc plutôt vers l’idée selon laquelle j’ai été prise dans une forme de traquenard. Mais à moins de la présence d’un abus de pouvoir, je n’ai aucune raison de refuser le fait qu’il ait pu faire du bien à des personnes souffrantes.

Sarah Rodrigue

Pour tout savoir sur le Trouble dysphorique prémenstruel et les hormones.

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