Chronique Le jour où : je suis allée voir un guérisseur (partie 1)

Photo by freestocks on Unsplash

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J’ai 35 ans. 

Ça fait depuis l’âge de mes premières règles que je souffre d’un SPM extrême (Trouble dysphorique prémenstruel) qui, année après année, meurtri mon corps et mon âme.  Nous venons d’emménager dans les Cantons-de-l’Est pour nous rapprocher du boulot de mon chum et pour changer un peu d’air. La nature, je l’espère, saura calmer mon système nerveux et faciliter ma guérison. Car ce que je veux le plus au monde, c’est GUÉRIR.  Je n’en peux plus de ces maux physiques et psychologiques qui assaillent mon corps mois après mois.  J’ai dû interrompre, il y a près d’une année, une grossesse (désirée de tout cœur) qui, en raison de mon hypersensibilité aux changements hormonaux, m’a plongée dans un état pré-psychotique.  Je m’en remets à peine.  Physiquement, et émotionnellement.

J’ai déjà consulté je ne sais combien de médecins, psychiatres, naturopathes, ostéopathes, homéopathes.  J’ai vu des personnes compétentes mais ignorantes quant à ma condition et des charlatans.  J’ai déjà participé à quelques séances et retraites, ici et là, qui m’ont amenée à purifier mon âme avec de la sauge, à écouter une personne prétendant canaliser un être lumineux, à méditer, à recevoir des traitements énergétiques, à visualiser ma guérison au son de chants tibétains.  J’ai tout vu et tout fait. Même s’il m’apparaît essentiel de ne pas confondre les « médecines » alternatives qui ont fait leurs preuves – telles que la méditation par exemple –  avec des pratiques, disons, plus ésotériques, je me plais à découvrir tout ce qui existe en termes de pratiques thérapeutiques, spirituelles, ésotériques ou énergétiques.

Bref, j’ai 35 ans et j’ai déjà dépensé l’équivalent d’une retraite dorée en traitements divers. Si aucun de ceux-ci ne m’a guérie, certains d’entre eux m’ont cependant apporté des bienfaits inespérés.  Malgré des semaines extrêmement difficiles en période prémenstruelle, je suis en mesure de passer de beaux moments avec ma famille et de poursuivre mes mandats comme coordinatrice d’événements.  Mais le désir de guérir ne me quitte jamais.  Je suis obsédée par cette quête.  Je ne peux pas croire que je devrai vivre le reste de ma vie ainsi, coincée dans un corps qui me jette à terre tous les mois.  Je suis certaine que j’y arriverai.

J’ai déjà entendu parler d’un guérisseur qui pratique dans la région.  J’en ai entendu parlé en bien…et en mal.  Il prodigue ses rituels et ses « soins » dans une église reconvertie en lieu de prière inter-confessionnel.  J’apprends, un peu par hasard, qu’il y sera présent demain pour recevoir des « clients. »  En raison de sa popularité, je sais à quel point il est difficile d’accéder à lui.  Je ne sais plus comment, mais je réussis à parler à quelqu’un de son « entourage » qui m’explique que tous les rendez-vous sont complets mais que peux me présenter le matin même.  Peut-être me recevra-t-il après ses rendrez-vous.

Le lendemain matin, il fait encore noir lorsque je me mets en route.  Je parcours en voiture les quelques kilomètres qui me séparent de l’église et je constate déjà une circulation anormalement dense pour cette heure matinale.  Lorsque j’arrive, les petits stationnements qui entourent le temple sont déjà  plein à craquer.  Je réussis à parler à un « préposé » qui me dit qu’il reste une petite place « là, derrière l’arbre, sur l’herbe.  Vous pouvez y aller mais je vous avertis, vous aurez probablement à attendre toute la journée avant de pouvoir voir le Révérend – c’est ainsi qu’on le nomme – , et même là, ce n’est pas certain qu’il puisse vous recevoir ».  Je m’apprête à faire demi-tour.  C’est pas vrai que je vais passer ma journée à attendre sur un banc d’église, en espérant d’être reçu par Monsieur le guérisseur.  Surtout que je ne suis équipée que d’une gourde d’eau et d’une pomme.  Je vais mourir de faim.  Et ça, ce n’est pas possible pour moi.  Pas question.

Pourtant, quelques minutes après, ayant réussi à faufiler ma voiture entre l’arbre et une grosse roche, j’entre dans l’église.  Elle est bondée.  Tous les bancs sont occupés.  Y règne un silence lourd.  Je suis la dernière personne à arriver, et à voir le regard des personnes assises, je suis probablement « de trop ».  Je me fraye un chemin vers une minuscule place, occupée par le manteau de la Madame qui ne veut surtout pas que quelqu’un s’assoit à côté d’elle, et m’assieds.  J’attends, dans ce silence collectif.

Une femme monte sur l’autel et nous explique que le Révérend va bientôt commencer à recevoir, l’un après l’autre, les personnes qui ont rendez-vous.  Elle précise que les autres peuvent attendre mais devront s’armer de patience.  Le guérisseur ne pourra pas voir tout le monde.  Elle nous invite à fermer les yeux, à respirer profondément, et à nous centrer.  Un son s’élève. Il émane d’un bol en cristal que la femme frotte à l’aide d’un bâtonnet.  Je reconnais l’objet pour l’avoir vu à quelques reprises lors de séances de méditation.  Ce « chant » a chez moi un effet extrêmement apaisant.

Se frayant un chemin entre les bancs, elle passe et s’arrête, quelques secondes, devant chaque personne.  Élevant, à chaque fois, le bol chantant au-dessus de leur tête, tel un geste de bénédiction. Je suis détendue et assez bien.  J’ai une bonne capacité à me centrer rapidement et à entrer dans un état méditatif profond.  Le seul souci qui habite mes pensées concerne ma peur d’avoir faim.  Je réussis progressivement à faire le vide en moi.

La femme arrive devant moi.  Le bol, toujours chantant – elle doit avoir mal au bras! – s’élève au dessus de moi.  Je reste centrée et inspire cet instant de grâce.  Je tente de profiter de ces quelques secondes pendant lesquelles je laisse tout aller, où je me sens connectée à plus grand que moi.  Les secondes passent.  Puis des minutes.  Le bol chantant est encore au-dessus de ma tête. Je sens un imperceptible changement d’énergie autour de moi.  J’ose entrouvrir mes yeux et je vois bien le regard de mes voisins qui commencent à s’impatienter, à se demander  pourquoi la femme reste immobile devant moi.  Il y a des limites à la patience et au recueillement.  Elle reste ainsi pendant de longues longues minutes.  Puis, elle reprend son chemin, s’arrêtant rapidement devant ceux qui attendaient leur tour.  Je sens une petite jalousie de la part de ma voisine au manteau.

Les minutes passent.  Le son du bol chantant s’arrête.  Le silence se fait.  L’auditoire reprend vie.  On bouge nos membres, engourdis par ce long moment d’immobilité.  La femme semble avoir quitté la pièce.  L’attente commence.  Je tente de rester calme.  J’ai faim.  Le sentiment de plénitude qui m’envahit depuis mon arrivée commence déjà à s’amenuiser.  Je ne pourrai pas « tougher ».  C’est sûr.  J’attends une heure au plus.  J’ai d’autres choses à faire, moi.

Puis, la femme « au bol chantant » se faufile à nouveau entre les bancs.  Elle semble se diriger vers moi.  Elle se baisse pour me chuchoter à l’oreille  » le Révérend a ressenti ta lumière et ton énergie, il aimerait te voir.  Viens, suis-moi ».  Je suis bouche bée, ne sachant pas trop comment réagir.  Je me lève, manteau et sac à la main.  Ma voisine, puis d’autres personnes qui doivent déplacer leurs jambes pour me laisser passer, me jettent des regards assassins.  « Comment se fait-il que cette petite morveuse qui est arrivée après tout le monde, qui a pris la place de mon manteau,  et qui n’a clairement pas de rendez-vous, puisse dépasser ainsi tout le monde ?? »

Je suis la femme et descends un escalier.  J’arrive dans une petite salle d’attente.  Mon cœur commence à battre. Je ne sais pas à quoi m’attendre.  Tout cela est tellement surréaliste.  Mon esprit s’emballe.  Est-ce que je ne risque pas de me faire enlever ?  Mon corps dépecé sera-t-il retrouvé dans un fossé d’ici quelques semaines ?  Dans quoi me suis-je embarquée ?  La femme me dit d’attendre et elle remonte l’escalier.  J’attends.  Devant moi, un homme, s’appuyant sur une canne est entrain de donner son nom à ce qui semble être une « adjointe-secrétaire ».  Elle raye son nom d’une liste.  Je le vois sortir des billets de 20$.  Il dépose sur le bureau ce que j’estime être 100$ – le prix de la « consultation, » puis un autre 100$, puis un autre 100$, puis un autre 100$.  « Tenez, c’est ma contribution volontaire.  Il m’a tellement aidé.  Je suis tellement reconnaissant ».  L’homme va s’asseoir sur une chaise.  C’est à mon tour.  Je règle le paiement.  M’assieds à côté du Monsieur.  Et j’attends.  Je fixe la porte derrière laquelle je devine se trouve le guérisseur.  Je ne sais pas encore ce que j’y vivrai.

(Suite dans le prochain article :

Sarah Rodrigue

Pour tout savoir sur le Trouble dysphorique prémenstruel et les hormones.

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